Dans un des livres les plus connus de l’entrepreunariat, “Père riche, père pauvre”, Kiyosaki met en opposition une culture/intelligence conceptuelle, académique, et une culture/intelligence business. Cette dernière étant celle de son père riche : certes moins éduqué sur certaines choses, mais plus efficace à monter des business et produire de la richesse financière.

Ce manifesto technico-optimiste est un excellent retour de flamme : il nous montre ce qu’il se passe quand un business-man de la tech se prête à l’exercice de la pensée philosophique, sociale et économique sans prendre la mesure des outils qui lui manquent. A défaut d’être surprenant, c’est décevant. Et un peu amer pour tous ceux qui, comme moi, se ressentent d’un certain optimisme technologique, sans se retrouver dans la pauvreté de la pensée de ce manifesto.

L’idéologie Star Trek

Profondément dans l’ère du temps, et surtout, de la Silicon Valley, le mythe d’une technologie qui nous sauvera tous, trouve ses racines dans de nombreux ouvrages de fiction. Des univers qui ont marqué mon enfance comme bien d'autres dans l'écosystème tech, et qui aujourd'hui deviennent de plus en plus mainstream. Star Trek est peut-être celui qui a eu le plus d’impact sur toute une génération.

Star Trek c’est tout de même l’idée d’une utopie futuriste dans lequel le développement scientifico-technique aurait occasionné automatiquement une humanité unie et pacifique, inscrite globalement et structurellement dans une vision humaniste du monde.

C’est effectivement une société sans argent, sans pauvreté, bâtie sur une coopération internationale totale, pratiquant radicalement l’inclusivité et la diversité, et dont les missions d’exploration spatiales que nous suivons d’épisode en épisode, sont essentiellement guidées par l’exploration pacifique et la volonté d'expansion des connaissances scientifiques.

Qu’on se le dise simplement et clairement : Le manifesto d’Andreessen ressemble à ce qu’aurait écrit un adolescent en gueule de bois après une soirée Star Trek. C’est plein de bonne volonté et d’idées intéressantes, mais il n’y a aucune profondeur, aucune structure, aucun esprit critique, aucun impact à en tirer. C’est un bon délire qui synthétise la doxa scientiste et solutioniste d’une Silicon Valley peu cultivée en dehors de son tropisme business-tech, et qui a souvent été tentée de faire de sa puissance économique une légitimité intellectuelle. Après tout, l’argent a toujours raison n’est-ce pas ?

Des références à hérisser le poil

A la fin cette messe complaisante déjà pleine de name-dropping hasardeux, on trouve une liste de penseurs, qui, nous dit-on, feront de nous des techno-optimistes à leur lecture.

Sans surprise, on trouve Nietzsche dans cette liste, auteur le plus mal compris et le plus mal ré-utilisé de tous les temps, mais également toute une ribambelle de personnalités, vivantes ou décédées, qui s’inscrivent très discutablement dans cette doxa.

Une liste populaire voir populiste, dans laquelle la pensée de la technique fait défaut : on ne trouvera pas une seule référence à Jacques Ellul (pourtant tellement visionnaire sur ces sujets) ou encore à Heidegger.

En bref, toute la pensée académique critique sociale, économique, et philosophique, est absente.

Et c’est par ce chemin qu’il réduit les problèmes globaux à des défis technologiques, passant sous silence des enjeux sociaux, politiques et économiques sous-jacents. Certainement y’a-t-il une app sur le store pour chacun de ces problèmes ?

De la croyance à l’action

“We believe” est répété 113 fois. Cela me laisse un sentiment paradoxal : si cela est une preuve d’humilité, reconnaissant cette prise de position comme une croyance, c’est aussi une étrangeté considérant l’arrière plan scientiste et matérialiste qui tapisse ce discours.

De quoi parle-t-on ? Quel est le message ? Une injonction ? Non. Une réflexion ? Non plus. Une régurgitation dogmatique tout au mieux. Cette lecture dogmatique se révèle en deux points : jamais les conséquences éventuellement néfastes de la technologie ne sont évoquées, et jamais il n’est question de prise de responsabilité de ces conséquences. C’est dommage, c’était pourtant l’occasion, en parlant de technico-positivisme, d’engager le lecteur à s’inscrire dans une pro-activité engagée au service de tous.

Du manifesto technico-optimiste à l’action technico-bienveillante

L’idée d’une technologie positive par nature est effectivement une croyance (”we believe !”). Si la technologie n’est pas neutre, sa nature morale n’est pas non plus déterminée dans son être, et pour se convaincre du fait que la technologie n’est pas toujours au service de l’humanité, il suffit d’observer les usages qui en sont fait par certains états pour asseoir une hégémonie liberticide et aliénante. Alors arrêtons le “We believe”. Ne nous y trompons pas : c’est important d’avoir une intention, une énergie, une conviction. Mais c’est 113 fois trop.

Etre technico-optimiste et dire “we believe”, c’est s’affaler dans le fauteuil de ses idées complaisantes et s’endormir dans les rêves utopistes d’un monde meilleur, pendant que le monde réel dehors s’active. Alors marquons plutôt la mise en marche d’une action technico-bienveillante :

  • Nous SAVONS que la technologie est un levier d’action majeur pour organiser notre société d’une manière qui correspond à notre projet sociétal.
  • Nous SOUHAITONS que la technologie soit au service du bien commun et d’un monde plus humaniste.
  • Nous DESIRONS un monde dans lequel la technologie n’est pas utilisé pour les interêts de certains au détriment du plus grand monde.
  • Nous SAVONS aussi que cela n’est pas gagné, que cela repose sur nos épaules aujourd’hui, et que c’est un combat qui devra être mené sur le long-cours.

Passer à l’action

En écartant de ce manifeste toute une pensée philosophique, économique et sociale, Andreessen a aussi sorti de son scope la nécessité de responsabiliser les acteurs politiques. Comme si la technologie comportait en elle-même une finalité sociétale, un projet politique, et qu’elle était susceptible de mener ce programme sans aucune assistance extérieure. Peut-être qu’Andreessen amalgame la technologie et les entreprise-États que deviennent les méga-corps de la tech.

En conclusion symétrique, et pour encourager une pensée terre à terre sur la technologie, ses impacts, et notre rôle à tous dans ce futur que l’on construit, voici quelques lectures qui feront du bien :

  • La Tyrannie du mérite: Qu'avons-nous fait du bien commun ? de Michael Sandel
  • Le bluff technologique de Jacques Ellul
  • Le principe responsabilité de Hans Jonas
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